Des cercles aux clubs

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Gangrenés par le banditisme, les détournements de fonds et la corruption, l’ensemble des cercles de jeux parisiens ont été contraints à la fermeture définitive, ouvrant une nouvelle ère, celle des clubs.

L’histoire aura duré un siècle. En septembre 2018, la fermeture pour fraude fiscale, blanchiment et travail dissimulé, du cercle Clichy-Montmartre, lieu emblématique de la nuit parisienne, marquait la fin des cercles dans la capitale. Une histoire commencée pendant la première guerre mondiale. « Ce sont les aviateurs anglais qui avaient importé ce concept de cercle de jeux en France, explique le chef du service central des courses et jeux (SCCJ). Le premier à ouvrir sera le justement le Club anglais en 1917, où aviateurs britanniques, mais également américains et australiens, se retrouvaient, autour des tables de billard et de jeux ».

Rapidement, les cercles se multiplieront dans la capitale, proposant à leurs membres d’autres jeux, comme le punto blanco, le poker ou le multicolore. Afin d’encadrer cette pratique, une loi sera votée en 1923. « Elle réaffirmera le statut d’association Loi 1901, à but non lucratif. Cela signifie que le chiffre d'affaire généré, reposant en grande partie sur les cotisations des membres, ne pouvait être utilisé que pour le paiement des charges ou le salaire des employés ».

« Techniquement, comme l’explique le chef de section des cercles au SCCJ, les joueurs ne pouvaient jouer qu’entre eux. L’un des joueurs achetait alors une table aux enchères et assurait, sur ses propres fonds, le rôle de casinotier, c’est-à-dire de banquier. Ceux qui s’asseyaient à sa table jouaient alors contre lui. Le problème est que les probabilités jouent toujours en faveur du banquier. Il pouvait ainsi empocher de très belles sommes, alors que les tenanciers des cercles qui payaient loyers, salaires, taxes et charges n’avaient aucun droit sur les gains. L’altruisme ayant ses limites, les propriétaires des cercles ont trouvé le moyen de s’octroyer le rôle de banquier de manière occulte. Les joueurs qui remportaient les tables aux enchères étaient en fait des hommes de confiance ou de paille, rémunérés au noir, qui leur reversaient ensuite les bénéfices des tables ».

Cette pratique a permis de générer pendant des années des flots de cash qu’il fallait cependant blanchir et écouler. « Les personnels des cercles étaient en partie payés en liquide, afin de faire baisser les charges sociales, relate le chef du SCCJ, et une grande partie du cash était envoyée en Corse et alimentait le banditisme et la corruption sur l’île. Il faut en effet savoir qu’à l’issue de la seconde guerre mondiale, décision fut prise de confier la gestion des cercles de jeux aux Corses en remerciement de leur action dans la Résistance. Mais la majorité d’entre eux ont fini dans les mains d’individus peu recommandables ».

2008 marquera un tournant, avec  le rattachement des courses et jeux à la DCPJ, comme l’explique le chef de section des cercles : « Les consciences se réveillent, les textes successifs sur le blanchiment des capitaux nous fournissent des instruments techniques et juridiques pour mettre fin à ces petits arrangements », et le couperet tombe. « Nous les avons mis sous pression, en multipliant les enquêtes qui nous ont permis d’identifier les circuits financiers et les réels bénéficiaires ». Tous passeront sous les fourches caudines des limiers des courses et jeux. Et fin 2018, Paris, qui avait compté jusqu’à une trentaine de cercles dont les fameux Wagram, Aviation club de France, ou Cadet, n’en accueillait plus aucun.

Mais, la passion du jeu, comme la nature, ayant horreur du vide, l’État a souhaité l’ouverture d’établissements dédiés aux jeux. « Quand nous avons fermé les cercles, nous avons noté une recrudescence de tripots clandestins en région parisienne, explique le chef du service central des courses et jeux. Proposer aux parisiens une offre de jeux en favorisant l’installation d’établissements financièrement sains, constituait une bonne solution. Des endroits où la sincérité et la tranquillité des jeux sont assurées ».

Décision fut alors prise d’expérimenter, pour une période de trois ans, le concept de clubs de jeux, avant même la fermeture programmée du dernier cercle. « Des professionnels, solides financièrement et moralement sûrs, comme le groupes Barrière ou Ardent ont notamment été sollicités ». Quant à la réglementation, elle est calquée en grande partie sur celle des casinos. « Ils sont autorisés à exploiter certains jeux de cercle et de contrepartie, comme le Punto Banco ou le Poker 21, mais n’ont guère reçu l’autorisation pour l’exploitation de machines à sous ». Six clubs sont d’ores et déjà ouverts, deux le seront prochainement.

Cette période de test, qui s’achèvera début 2021, permettra au service central des courses et jeux de mesurer la viabilité du concept. « Nous verrons par exemple si l’offre de jeux autorisés leur permet de fonctionner, si le barème fiscal mis en place est équitable, viable pour les établissements et avantageux pour L’État, et quel serait le nombre de clubs optimal pour la capitale ».

Frank Canton

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