Le service de lutte anti-mafia

Service de lutte anti-mafia

Pour mieux lutter contre les mafias, la direction centrale de la police judiciaire a mis en place un service, commun à la police et à la gendarmerie.
Objectifs du SIRASCO : recueillir, centraliser et analyser les informations sur la criminalité organisée en France.


Quelle est l'influence des triades chinoises en France ?

De quelles manières les mafias transnationales russes, géorgiennes, italiennes, roumaines ou bulgares gangrènent-elles l'économie ?

Quelle est la physionomie de la criminalité organisée dans l'Hexagone et quelles sont les principales menaces qu'elle fait peser sur la sécurité ?

C'est pour tenter de répondre à ces questions qu'a été créé, en 2009, à la direction centrale de la police judiciaire, le service d'information, de renseignement et d'analyse stratégique de la criminalité organisée (SIRASCO). Né d'une volonté politique forte, notamment de celle du ministre de l'Intérieur, le SIRASCO est un service commun à la police et la gendarmerie, dont la vocation est de mettre un terme à l'éparpillement des informations et de développer la détection et l'analyse des phénomènes mafieux.

Ils sont actuellement une quinzaine, policiers de la PJ, gendarmes, mais aussi policiers de la direction centrale du renseignement intérieur (DCRI) et de la direction régionale de la police judiciaire de Paris.

Leur objectif : centraliser, analyser et diffuser un maximum d'informations sur la criminalité organisée en France.

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Pour lutter contre les organisations criminelles, nous devons développer une politique d'intelligence, au sens anglo-saxon de renseignement, explique Dimitri Zoulas, commissaire principal et chef du SIRASCO. Notre connaissance des organisations criminelles est empirique, elle doit devenir systémique : la connaissance des organisations criminelles augmente l'efficacité de l'action répressive. Nos informations proviennent de tous les services.

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Mais la police n'est pas la seule à disposer de renseignements sur le sujet. Tous les trimestres, tout ce que l'administration compte de spécialistes en criminalité organisée se retrouve à l'occasion d'une réunion interministérielle organisée par le SIRASCO.

Policiers et gendarmes des directions spécialisées et des offices centraux, agents de la DGSE, douaniers, police de Monaco, bureau du renseignement pénitentiaire, Tracfin, pôle de Zagreb pour la criminalité organisée dans les Balkans, y échangent des informations. "L'objectif est d'identifier des tendances, de comprendre des phénomènes, de détecter de nouvelles menaces, mais aussi d'échanger des informations très opérationnelles en décloisonnant les renseignements".

Le SIRASCO produit donc différents documents, stratégiques pour les décideurs, opérationnels pour les services d'enquête. Son rapport annuel dessine la physionomie de la criminalité organisée en France. Les informations échangées lors des réunions interministérielles font l'objet de synthèses. Enfin, alimenté par les services opérationnels et les échanges internationaux, le SIRASCO rédige des notes sur des sujets très ciblés, vertes pour l'analyse stratégique, blanches pour les informations opérationnelles. Des investissements chinois suspects dans les PMU aux proxénètes bulgares en passant par les trafics de stupéfiants, le SIRASCO décortique les groupes criminels, comme par exemple l'implantation des clubs de motards criminalisés appartenant aux Hells Angels, Outlaws et autres Bandidos, originaires des États-Unis qui ont essaimé partout en Europe."Il y a actuellement une trentaine de clubs en France, souligne un commandant de police du SIRASCO.

Cette situation correspond à celle de l'Allemagne il y a dix ans. Ces clubs y sont en voie d'interdiction car ils se livrent à des guerres de territoires.

Au Danemark, les chapitres [NDLR : clubs de motards] s'entre-tuent avec les gangs de rue". Face à ces menaces, les Européens, à l'image de l'agence britannique du crime organisé (SOCA) ou du centre d'intelligence interministériel espagnol (CICO), ont renforcé leurs capacités d'analyse. La création du SIRASCO complète le dispositif répressif français en permettant aux différentes administrations de mettre en réseau leurs informations et de les enrichir ensemble.

3 Questions à…

Dimitri Zoulas est à la tête du service d'information, de renseignement et d'analyse stratégique sur la criminalité organisée (SIRASCO).

Civique : Le rapport annuel du SIRASCO relève "la structuration de certaines bandes de cités en véritables entreprises criminelles". Quelle est la situation ?

Dimitri Zoulas :

Ce phénomène est constaté par les services de la DCPJ sur l'ensemble du territoire. Lié au développement du trafic de résine de cannabis importé du Maroc, il représente la principale source de revenus criminels alimentant l'économie souterraine en périphérie des agglomérations. Plusieurs dizaines de groupes criminels organisent des importations massives de résine de cannabis marocain vers l'Espagne. De là se ravitaillent des équipes intermédiaires qui fournissent le marché français, dont la consommation est estimée à 300 tonnes par an, pour un "chiffre d'affaires" avoisinant le milliard et demi d'euros. Les enjeux de ce trafic engendrent des rivalités. Le potentiel de violence de ces groupes, composé d'individus jeunes et déterminés, est aggravé par la possession d'armes de guerre. De ce fait, la coopération avec l'Espagne est très forte et les relations avec le Maroc ont été largement renforcées afin de mieux combattre ce trafic de drogue.

Civique : Comment s'organise le grand banditisme français ?

Dimitri Zoulas :

Si les voyous de la banlieue sud n'occupent plus le devant de la scène, les organisations criminelles corses sont pérennes : la recomposition du milieu s'est accentuée en 2009 avec vingt et un règlements de comptes dans l'île de Beauté. De même, la région de Marseille abrite des parrains, souvent associés aux Corses, historiquement impliqués dans les braquages de fourgons, le trafic de stupéfiants, le racket, l'exploitation de machine à sous et les règlements de comptes. Il convient d'ajouter au titre du grand banditisme traditionnel les extensions du milieu marseillais dans la région de Montpellier et de Nice, ainsi que les activités de certains membres du milieu lyonnais ou grenoblois, néanmoins supplantés par des groupes plus jeunes issus des banlieues. Enfin, plusieurs groupes criminels issus de la communauté des gens du voyage implantés en région parisienne font partie du grand banditisme.

Civique : Qu'en est-il des mafias étrangères ?

Dimitri Zoulas :

Plusieurs oligarques ou chefs de clan russes, géorgiens ou arméniens séjournent régulièrement en France ou y possèdent des biens immobiliers, à Paris ou sur la Côte d'Azur. Certaines rivalités donnent lieu à des règlements de comptes en France, ces violences s'inscrivant dans un contexte international. Quelques mafieux italiens sont intégrés au tissu économique et social français. Implantés en région PACA, parfois associés aux milieux français, ils sont actifs dans certains secteurs économiques : bâtiment et immobilier (blanchiment, corruption), distribution, restauration, opérations immobilières. Si l'activité de membres des triades chinoises en France n'est pas judiciairement démontrée, de nombreux groupes criminels agissent dans le domaine du trafic d'êtres humains, y compris la prostitution asiatique, en plein développement, la contrefaçon, le blanchiment, la cybercriminalité. Les organisations balkaniques sont très impliquées dans les trafics d'armes, de produits contrefaits, de stupéfiants, notamment les mafias albanaises, ou d'êtres humains. Une partie des groupes criminels est issue des "Roms" ayant récemment migré de Roumanie, de Bulgarie ou des Balkans occidentaux.